Redactions
Joel Swansonen | fr
Je me souviens très bien avoir appris à écrire à la maternelle. J'essayais tant bien que mal d'imiter les lettres que mon professeur traçait sans effort sur le tableau noir. En cinquième année du primaire, j'ai oublié de mettre mon nom sur un devoir. Devant la classe, le professeur a brandi le devoir, demandant à qui il appartenait, supposant qu'il appurtenant à une fille au vu de l'écriture. En tant qu'artiste, ma signature manuscrite est un indicateur de mon travail et de mon identité. Elle varie légèrement d'une signature à l'autre, mais elle marque toujours mon travail comme étant unique et authentique. L'écriture manuscrite est bien plus que la création de formes de lettres lisibles. L'écriture est une question d'identité, qui véhicule des normes relatives au sexe, au genre et à la sexualité.
Chaque année, de moins en moins d'écoles enseignent aux élèves comment écrire et lire l'écriture cursive. Toutes les formes d'écriture manuscrite sont supplantées par les dispositifs de saisie numérique. Les marqueurs d'identité qui résidaient autrefois dans l'écriture manuscrite migrent et évoluent au sein de plateformes technologiques. Comme la langue, l'écriture manuscrite est une technologie, qui est supplantée par des dispositifs d'entrée numériques tels que les écrans et les claviers. Les marqueurs d'identité qui résidaient autrefois dans l'écriture manuscrite migrent et évoluent au sein de plates-formes technologiques.
L'écriture manuscrite est désormais médiatisée par le nouvel acteur de l'intelligence artificielle. Formées à partir de corpus d'échantillons d'écriture humaine, des technologies telles que la reconnaissance optique de caractères (OCR) établissent de nouvelles normes de lisibilité mécanique. Les pratiques humaines et informatiques de lecture et d'écriture s'interpénètrent de manière complexe et provocante.
Je m'interroge sur l'intersection entre les technologies OCR et le moment où j'ai appris à écrire. J'ai traité des échantillons d'écriture de mon enfance avec un logiciel de suppression de texte basé sur l'IA. Le résultat laisse les marques que le logiciel ne reconnaît pas comme un langage valide. Pour créer ces œuvres, j'anime ces marques non reconnues en "chorégraphies" interactives, des œuvres numériques interactives qui explorent les limites et les excès de la lecture machinale. Inspirées par Cy Twombly et d'autres artistes explorant l'écriture asémique, ces œuvres lentes et énigmatiquement autobiographiques explorent l'espace entre la lisibilité et l'illisibilité, le sens et le non-sens. Elles interrogent le rôle du langage, de la mémoire et de la technologie dans l'ère post-Internet.
Ce projet a été commandité par l'Équipe de recherche en littératie médiatique multimodale, , Université du Québec à Montréal, 2024.